Thierry Renard : Amour

Amour

comme la première lettre

de mon abécédaire

les premières pages de mon livre

ou les échos de nos appartenances

 

Amour sans foi ni loi

sans tambour ni trompette

sans blasphème ni fortune

Amour chevillé au corps

Amour rivé à la quête de l’autre

Amour métal froid

Amour qui brûle les lèvres

et le bout des doigts

Amour on s’en grille une

allez on fait comme ça

 

Amour sans haine ni violence

avec le pardon dans le regard

Amour en bateau ou en avion

Amour en voiture ou au cinéma

Amour dans le train pour Rome

Amour sans savoir vraiment pourquoi

Amour qui bascule dans le vide

tourmenté déchiré

Amour tout chamboulé

Amour d’exil ou d’héritage

 

Amour aux pieds nus

et aux mains soumises

Amour toute la noblesse du monde

Amours les corps et les lits défaits

Amour membre dressé

Amour fente des neiges

Amour seins têtus

toison et trou de l’énigme

Amour mystère aux hanches larges

à la gorge chaque fois désapprise

Amour sans barrières mentales

sans murs et sans frontières

Amour malade de la tête

Amour      mon cœur dans la séparation

dans la longue absence

ou dans la langue des autres

Amour bouche cruelle

 

Amour à haut débit

Amour désir d’utopie

de plage de mer de soleil

de ciel clair de sable fin

Amour des corps tendus     aux aguets

Amour collines et vallons

Amour jamais loin de la source

Amour plein Sud        un Nord en soi

Amour sans date de prescription

Amour prémonitoire   Amour fatigue

Amour loin du troupeau des hommes

et de toutes les femmes malhonnêtes

Amour chien fou cheval d’orgueil

Amour nuit fauve nuit bizarre

Amour sans amour après l’amour

Amour sans issue de secours

Amour sortie de route chemin de traverse

et aussi folle allure

Amour mal venu mal tourné

Amour pas vu pas pris

 

Amour corps déshabillés

sur les pelouses vertes

ou dans l’herbe des champs

Amour gloire et beauté

Amour jeune fille en fleur

Amour      Amour perdu

Amour remontée de sève

Amour troubles de l’âme

Amour de toutes les couleurs

Amours jaunes Amours mortes

 

Amour qui sauve les apparences

sans distinction de race ou de sexe

Amour longue conservation

Amour hors cadre hors champ

Amour corps renversés

sous la table du temps

Amour au présent

sans passé ni futur

Amour sablier    Amour cendrier

Amour lueurs de l’aube

Amour sans queue ni tête

Amour sans tablier blanc

Amour sans peigne et sans habits

Amour jeté aux vents

chevelure hirsute et vision blessée

 

Amour dans la confusion des sentiments

Amour      peur panique     impuissant

Amour sauvage quelquefois

Amour dans l’incendie du jour

dans les maquis d’août ou de juillet

Amour peaux éreintées et ventre rond

toutes les cicatrices recousues

Amour conte de fée

Amour à l’eau de rose

Amour sur la banquette molle

Amour couché assis debout

 

Amour Madeleine de Proust

Amour pain au chocolat

Amour sauce tomate

cannelloni ou spaghetti

Amour eau de Cologne

Amour vodka et whisky

Amour gelato rhum-raisins

Amour cigarettes et café

 

Amour trèfle à quatre feuilles

Amour qui finit par faire mal

Amour les mots bleus

les mots négligés maintenant

 

Amour

Grand amour    même

Amour      Amore        Amor

 

Amour

Désormais

 

Saint-Julien-Molin-Molette, le dimanche 26 avril 2020

 

Thierry Renard

Extrait de « Agora Circus »,

recueil inédit

 

Isabelle Moign : Le temps

Le temps

La toile déroule les yeux du monde

 

L’horloge du vent aiguise nos mémoires

 

Dans nos mains d’acier, une feuille

s’efface

s’éteint

se fige

 

Chevelure hirsute, la forêt

de lune et de feu

se dresse

s’essouffle

s’allonge

Dans le rythme des flocons

 

Le silence s’enfonce dans nos pas d’argile

 

Le temps se pose sur la peau des mots

Le temps n’a pas de frontière

Le temps se perd dans l’ovale d’une lumière blanche

 

L’eau veille

 

Au lointain

Un métronome tape

tape encore

 

Isabelle Moign – 2020.

 

 

Patrick Dubost : Nos frères & nos soeurs les animaux

« Ici, un travail essentiellement à partir de noms d’animaux, à base de sampling & jeu clavier, mais aussi de mots mis à l’envers, puis dits et enregistrés dits à l’envers pour être de nouveau inversés, donnant alors comme une langue extraterrestre… Le tout sur un texte aux frontières du « presque rien »… La voix grave est aussi la mienne, parfaitement naturelle et sans effets, attrapée sur quelques jours où j’avais la gorge bien prise… Ce travail a été réalisé lors de sessions Ecrits/Studio, puis approfondi lors d’une résidence d’écriture à la Ferme des Lettres, vers Montauban, puis ces derniers jours lors du confinement, à Lyon, en mars/avril 2020… Il est préférable de l’écouter au casque… »

Patrick Dubost

 

Louis Bertholom : De la fenêtre

De la fenêtre

Crachin silencieux

le bitume luit

respirent les herbes

les pneus chuchotent

au passage mouillé

 

De ma fenêtre close

le ciel gris affaissé

assombrit les ardoises

des pas sous un parapluie

rythment ma pendule

 

Troisième étage

buvant un café

je caresse du regard

myosotis et camélias

qui prennent la douche

 

L’ombre s’étale

avec les gouttes

le matin peine

à ouvrir ses paupières

dans le frisson du jour

 

Une étrange tristesse

m’envahit lentement

la pie sur un balcon

s’ébroue et repart

dans l’air criblé

 

Parsemé de larmes

ma vitre tente

d’éclairer la page

que je vais noircir

comme les nuages

 

© Louis Bertholom, Quimper, le 28 avril 2020 (inédit)